Ceci n'est pas de l'art
Sur ton mur met de l’avant le talent et la créativité d’artistes d’ici. Dans notre atelier du quartier Hochelaga, nous sélectionnons, imprimons et expédions les œuvres de nos artistes, le cœur bien aligné sur nos valeurs. Nous sommes habités, depuis toujours, par l’amour de l’illustration et de ses créateurs.
C’est pourquoi, comme plusieurs dans le milieu, nous observons avec inquiétude la montée de l’IA générative dans le monde de l’image. Notre position à ce sujet est ultra simple : depuis notre fondation, en 2013, nous ne collaborons qu’avec des artistes qui créent leurs œuvres eux-mêmes, avec leur imagination, leurs mains, leur sensibilité et dans le respect du travail de leurs pairs.
Nous croyons à la puissance du geste artistique, à la créativité humaine et à la qualité exceptionnelle qui se dégage d’un travail de recherche visuelle basé sur un vécu, une réflexion, une émotion.
Sur ton mur s’engage à continuer de défendre ces valeurs, à en parler ouvertement et à soutenir celles et ceux qui choisissent l’authenticité et le jus de bras ;)
À nos artistes : MERCI
Vous êtes notre âme.
Votre imagination, votre sensibilité et votre savoir-faire sont irremplaçables.
Et à toutes les personnes qui créent de l’art authentique et qui résistent : merci de tenir bon.
Quand Jean-Paul Eid nous a contacté pour nous offrir l’œuvre « Ceci n’est pas de l’art », nous avons dit oui, même si nous n’avons pas l’habitude de faire des collaborations spontanées.
Nous avons dit oui, car nous voulons l’aider à porter son message et nous voulons que vous puissiez vous aussi porter son message et soutenir un artiste.
Cette illustration a été créée pour accompagner sa lettre d’opinion publiée dans Le Devoir.
Je vous laisse son texte ici :
Quand l’intelligence artificielle aura tout dévoré
Comme illustrateur, j’ai assisté depuis quarante ans à de profonds bouleversements. Entre l’apparition des banques d’images, la quasi-extinction des journaux et des magazines, ainsi que l’arrivée du Web, les artistes se sont adaptés.
Mais l’arrivée de l’intelligence artificielle générative (IAG) n’a rien à voir avec ces précédentes révolutions. Ici, ce n’est pas la technologie qui est mise en cause, mais le modèle financier qui repose sur la décision, très humaine, des administrateurs de ces entreprises de développer leur jouet à partir de matériel volé. Ainsi, nous assistons, impuissants, au plus grand vol de propriété intellectuelle de l’histoire. Le pillage à échelle industrielle du travail de millions d’artistes partout dans le monde pour entraîner leur machine.
Une entreprise qui n’a qu’un but : remplacer ces artistes par quelque chose de moins cher.
Parce que si cette technologie est offerte à prix dérisoire, c’est qu’on s’est approprié le minerai de base, violant ainsi les règles élémentaires du respect du droit d’auteur, clé de voûte de toute l’industrie culturelle.
Dans le cas des artistes visuels, ce sont des portfolios entiers qui ont été digérés par cette machine à imiter. Or, un portfolio, c’est bien plus qu’une simple pile d’images. C’est le condensé de l’expertise d’un artiste. Voler un portfolio, c’est cloner à son insu l’ADN d’un créateur, le dépouiller du brevet de son œuvre, lui voler son style, voire son identité graphique. Aujourd’hui, derrière une forme d’aveuglement volontaire, ce piratage permet à des agences publicitaires, des designers, des directeurs artistiques, des institutions culturelles, des éditeurs — dont des Québécois qui ont pignon sur le Salon du livre — de générer des images à partir des portfolios usurpés à ceux qu’ils engageaient autrefois pour effectuer le travail.
Pour comble d’insulte, non seulement les artistes sont-ils dépouillés de leur œuvre, mais ils devront dorénavant travailler à des tarifs dérisoires imposés par ces nouveaux artistes autoproclamés, ou « prompteurs », dont le travail repose sur le vol… du portfolio de leurs compétiteurs. Déjà, l’inquiétude est palpable chez les illustrateurs. Plusieurs nouveaux venus, tout juste sortis des écoles, commencent à penser à se réorienter. Or, devant de si pessimistes perspectives pour la relève, une question se pose : de quoi se nourrira la bête quand les artistes professionnels iront gagner leur vie ailleurs, qu’il ne restera plus que des peintres du dimanche condamnés à passer le chapeau ?
L’IAG est un ogre particulièrement vorace qui doit ingurgiter une quantité astronomique de données pour régurgiter un simple pouce carré d’image. Si, ces dernières années, elle a écumé les océans vierges du Net, déjà, à l’heure où j’écris ces lignes, elle s’alimente à même des mers contaminées… par elle-même. Une technologie consanguine qui se nourrit de sa propre progéniture.
Quand l’IAG, dont le procédé repose sur le probabilisme, générera des images à partir des dénominateurs communs aux milliards d’images qu’elle aura elle-même pondues, quand tout le travail des illustrateurs sur les nuances des particularités régionales, sur la diversité corporelle et sexuelle aura disparu des algorithmes au profit de représentations génériques consensuelles, que restera-t-il de notre patrimoine visuel ? Quand l’art sera réduit à des lieux communs, aux mêmes stéréotypes servis à la louche depuis la grande marmite où tout finira par goûter la même chose, que restera-t-il de cette façon inimitable que nous avions de définir notre identité, notre unicité, de nous représenter à nos propres yeux et aux yeux des autres ?
Parce qu’il y a une chose que l’IA ne fera pas : se réinventer. Et sans nouveaux talents pour brasser la cage, sans l’audace des têtes fortes, sans nouvelles écoles, sans nouveaux courants, sans nouvelles visions, nous serons condamnés à l’ère du vintage comme au jour de la marmotte, dans le plus triste chapitre de l’histoire de l’art.
Allons-nous collectivement accepter que ces géants de la tech siphonnent notre patrimoine en toute impunité pour nous le resservir, en grande tartinade jaunâtre, sur les couvertures de nos propres livres, sur les affiches de nos propres événements artistiques, pour faire la promotion de nos propres institutions culturelles ? Allons-nous accepter que nos deniers publics servent à soutenir des musées, des salons, des festivals, des éditeurs, des producteurs qui n’ont pas de scrupules à remplacer les œuvres de créateurs d’ici par des contrefaçons générées à partir des portfolios volés aux artistes qu’ils sont censés promouvoir ?
Si la viabilité de notre industrie culturelle repose sur le principe cardinal du respect du droit d’auteur, doit-on continuer de soutenir des organismes qui n’hésitent pas à recourir à des technologies reposant sur le viol même de ce principe ?
Jean-Paul Eid
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Copyright Éric Lajeunesse
Jean-Paul Eid fait ses classes dans la revue satirique Croc où il s’amuse à déjouer les codes de la BD, comme dans Le fond du trou (Éditions de la Pastèque), un album perforé permettant aux personnages de traverser physiquement le récit.
Il publie, avec le dramaturge Claude Paiement, la BD de science-fiction Memoria, le récit d’époque La femme aux cartes postales ainsi que CRUE, leur tout dernier album. En 2021 sort Le petit astronaute, une œuvre touchante sur le handicap, récipiendaire de nombreux prix. Plusieurs adaptations sont en cours.
Amoureux de Montréal, il y vit et la dessine.